> Dans vos oreilles:
Prise de son et mixage: Emma Thebault et Clément Follet
Au cœur de leur discussion: le Hlab dont l'objectif est de mesurer « la plus-value sociale et écologique de la soustraction d'un hectare de terre agricole dans une zone d’urbanisation dense »
Avec : Olivier Darné a choisi de reprendre un dialogue déjà entamé avec Patrick Degeorges, philosophe, spécialiste des questions de conservation de la biodiversité et d'adaptation au changement climatique. Qui est-il ? Sa bio ici.
Lieu de la rencontre: autour d'une table dans un recoin de Zone Sensible à Saint-Denis.

© Anne-Emmanuelle Thion

Commençons par le début, qu’est-ce que le H-Lab, le nouveau projet que vous menez sur le site de Zone Sensible, la Ferme urbaine de Saint-Denis où vous êtes installé depuis 2016 ?
Olivier Darné. C’est simple ! H pour Hectare et Lab pour laboratoire. C’est un projet qui se construit avec le parti-pris suivant : Zone Sensible à Saint-Denis mesure un hectare et on considère que cet hectare sera une page blanche et une évaluation de la façon dont on préserve cet espace dans une ville de plus en plus dense et intense. Si vous observez ici les grues en arrière-plan, on voit bien comment les dynamiques du Grand Paris et des Jeux Olympiques de 2024 vont densifier de plus en plus la ville. Il s’agira donc de mesurer sur cet hectare préservé toutes les plus-values d’une soustraction...
D’une soustraction ? C’est-à-dire ?
Olivier Darné. C’est-à-dire qu’on va mesurer ce qu’on obtient lorsqu’on soustrait à la pression foncière et à la densité urbaine un hectare qui relève bien sûr de l’agriculture urbaine mais pas seulement puisque Zone Sensible, c’est aussi un projet porté par les actions d’un collectif d’artistes. On va, avec l’aide de Patrick Degeorges qui est philosophe et réfléchit sur les questions de l’anthropocène, mettre en place les conditions d’un protocole de mesures scientifiques qui interrogent l’humain, l’agricole, l’urbain, le social, la relation humaine finalement. Sur trois thèmes qui sont nature, culture et nourriture et sur trois ans, on va mesurer ce que génère cet hectare de ville non construite. Comment finalement d’un moins, on fabrique des plus...
« Dans le H-Lab, il y a une dimension thérapeutique, le fait de prendre soin d’un vivant nous aidera à mieux prendre soin de nous parce qu’on prendra soin de ce qu’on partage : la vie »
Patrick Degeorges



© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
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© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
Olivier Darné raconte :
>> Le miel béton récolté à Zone Sensible est le témoin du vivant made in Seine-Saint-Denis: riche d'autant de pollens que de nationalités qui cohabitent sur le territoire: 220 !
Images: Jean-Louis Bellurget
Patrick Degeorges. La valeur ne se réduit pas, comme vient de l’expliquer Olivier, à des données quantitatives, elle prend aussi des dimensions liées à la qualité de vie des gens, à des choses qui parfois passent en deçà des radars de la perception générale. Donc, on va explorer, sonder les valeurs produites par cet hectare qui reconstruit un écosystème agricole en permaculture : en termes de qualité de l’eau, de l’air, ses impacts sur la reconstitution des sols, ses impacts sur la santé humaine, ses impacts en terme récréatifs. Enfin, ce qui sera aussi intéressant, ici à Saint-Denis, c’est de se pencher sur ce qui fait sens dans la façon de réhabiliter la ville, ce qui ne se fait pas seulement avec des scientifiques et des experts mais davantage avec des artistes. En résumé, avec Olivier Darné, on a imaginé faire de ce lieu une sorte de territoire-école où, à travers le H-Lab, on travaillera sur d’autres façons de composer avec la nature en ville.
Revenons à la genèse du H-Lab, qu’est-ce qui vous a réuni autour de ce morceau de terre à Saint-Denis ?
Patrick Degeorges. J’ai toujours éprouvé le besoin de rechercher des terrains d’opération pour fonder une politique opérationnelle. Et ce que fait Olivier Darné à Saint-Denis correspondait parfaitement à ce que je voulais expérimenter... Pour faire court, le philosophe Michel Serres expliquait dès 1990 qu’il fallait recomposer avec la nature les conditions d’habitation de la terre, donc changer les conditions du contrat naturel et faire aussi société avec la nature. Et ici, le projet de Zone Sensible et du H-LAb me paraissent au cœur de cette inspiration de défense d’une santé commune. Du coup, on pourra faire de ce H-Lab, un démonstrateur et surtout un prototype d’une économie régénératrice et symbiotique.
 « Il faut arrêter de parler de développement durable et évoquer plutôt un environnement durable, en créant des espaces dans lesquels on peut renouveler notre immunité, notre relation à l’autre, notre temporalité. Un peu comme Mary Poppins qui saute dans l’image ! »
Patrick Degeorges

© Anne-Emmanuelle Thion



Ce qui a d’ailleurs déjà commencé avec la crise du Covid en 2020 ?
Olivier Darné. Oui, l’accident et l’évènement du Covid nous ont engagé à mettre en route le H-Lab. Au printemps 2020, les fins de mois difficiles devenaient des débuts de mois difficiles avec la précarité des emplois. A un moment, il y a donc eu des difficultés à se nourrir. On a mis en application, avec notre projet « solidarité pandémique », ce qu’exposait Patrick Degeorges sur la santé commune : à savoir que notre santé passe à un moment par l’alimentation et il s’avère que nous ne sommes pas forcément tous égaux sur la qualité de l’alimentation à laquelle nous avons accès. C’est pour cela qu'à partir de mars 2020, il m’a semblé nécessaire d’offrir l’intégralité de la production agricole de Zone Sensible aux habitants de Stains, Pierrefitte, Saint-Denis. Et puis, au-delà de ça, le COVID a été l’occasion pour certains de se rendre compte du besoin des gens de mettre ou remettre les mains dans la terre, de mieux comprendre comment fonctionne le vivant. Et ça, ce sont des indicateurs qui ne rentrent pas forcément dans un tableau Excel.
Mais, le H-LAB, ce sont déjà de premiers indicateurs biologiques ?
Olivier Darné. Oui, parce qu’on gère aussi sur le H-Lab, la renaturation d’un site : très souvent les sols en ville ont connu des traumatismes industriels, de la pollution. Ici, la problématique était de gérer l’augmentation de la biodiversité de nos sols puisqu’on est passé d’un million et demi de salades produites chaque année par l’industrie maraîchère de René Kersanté, l’ancien exploitant du site, à 120 espèces végétales différentes aujourd’hui. Et puis, le sol avait été mécaniquement abîmé par cinq labours dans l’année, ce qui signifiait que les vers de terre n’avaient plus envie de faire leur travail de vers de terre ! Aujourd’hui, ils reviennent...
Patrick Degeorges. Concrètement, on aura effectivement d’abord une évaluation du capital naturel du H-Lab, puis on essaiera aussi les éventuels impacts négatifs liés au lieu. C’est comme cela qu’on fera la comptabilité d’un écosystème. On travaillera aussi sur les bienfaits et les bénéfices que cet écosystème peut avoir sur la santé et le bien-être des gens qui fréquentent le lieu : là, ce sera une mesure plus compliquée. Mais, l’intérêt du projet du H-Lab, c’est aussi de mettre en œuvre des méthodes de mesure qui éclairent les politiques de la ville : l’idée ce n’est pas de se contenter de créer des espaces verts mais bien des espaces qui ramènent le vivant dans nos vies.

© Anne-Emmanuelle Thion

Question de conclusion, qu’adviendra-t-il au bout des 3 ans d’expérimentation et de mesures du H-Lab ? 
Olivier Darné. Au bout des 3 ans, on regardera tout simplement comment cette expérience pourrait être reproduite, dupliquée, comment elle pourrait inspirer d’autres collectivités afin qu'elles réfléchissent comment, dans un programme de développement urbain, on peut laisser quelque part une place pour un indéfini de la ville. Parce que la ville qu’on dessine aujourd’hui n’est pas forcément en adéquation avec la ville dont on aura besoin dans 30 ans. Donc, si à un moment les aménageurs sont en capacité de ne pas tout remplir, Zone Sensible, peut en mettant en place des complicités scientifiques avec l’Institut Michel-Serres et Patrick Degeorges, servir à élaborer un modèle qui permettra de construire et nourrir les villes du futur.
Propos recueillis par Fred Haxo
© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
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© Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
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© Anne-Emmanuelle Thion
©  Anne-Emmanuelle Thion
© Anne-Emmanuelle Thion
> Laure Gayet
Urbaniste,  co-fondatrice de l'atelier Approche.s !

Prendre la mesure... De l'impact social et urbain des projets d'urbanisme transitoire
  
> Arpenter plus loin:
Cette grille de 15 indicateurs est conçue par l’atelier d’urbanisme Approche.s ! dans le cadre d’une étude-action sur l’évaluation de l’impact social et urbain des projets d’urbanisme transitoires, soutenue par le Ministère de la transition écologique, le PUCA, l’ANCT et la Fondation de France. Elle s’applique à l’ensemble des tiers-lieux et s’inscrit dans une approche de co-définition de la valeur sociale avec les parties prenantes.
Un protocole d’auto-évaluation partenarial est en cours d’élaboration. Il sera accessible progressivement sur la plateforme Commune mesure développée avec Plateau Urbain.
Déchiffrage. Cette grille d’indicateurs est issue de l’analyse de 12 cas d’étude conduite en 2019 par Approches et d’entretiens avec des porteur.se. de projets et usagers des sites. Chaque indicateur fait référence à des effets, directs ou indirects, positifs ou négatifs qui sont classés selon trois niveaux d’impacts sociaux -les effets directs sur les participant.e.s au projet, les effets collectifs sur de nombreuses personnes agissant ensemble, les effets à l’échelle d’un territoire- et les effets sur le projet urbain.
La totalité de l’analyse et des exemples d’impacts sociaux peut être retrouvée dans la publication Pour un urbanisme relationnel.
Cas pratiques.
En Seine-Saint-Denis ? Prenons l'expérience de Ya+K à Bagnolet. Avec son expertise et son ancrage local, le collectif a joué un rôle informel d'AMO - Assistance à Maitrise d'Ouvrage- transitoire autour de valeurs clefs: une approche raisonnée d'occuper l'espace avec une mise en lien des ressources locales, le réemploi de matériaux et une source de résilience qui porte une démarche d'insertion professionnelle, comme c'est le cas avec l'Hyper.
Ailleurs ? Cette grille mesure les effets d'un nouveau projet sur les territoires -d'un quartier à une ville, une région. Exemple à Saint-Etienne: l'action d'Ici-Bientôt a permis la réduction de 20% de la vacance des rez-de-chaussée de la rue de la ville. De nombreux locaux ont été loués à bas coûts pour des acteur.rice.s issu.e.s des champs culturels et sociaux. C'est aussi le cas à Villeurbanne, Mulhouse ou encore Aubervilliers. 
    
Design graphique: @Antje_Welde / Voiture 14
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