Parole donnée à notre carte blanche, Olivier Darné.
- Pourquoi avoir choisi d'articuler cette revue autour du "vivant" ?
-En un mot ? Abeille.
Une rencontre d'il y a vingt-cinq ans qui a été déterminante sur sa façon de voir et de lire le monde, d’y prendre part et de saisir l’ampleur de cet éloge véritable de la complexité dont elles nous témoignent.
> Dans vos oreilles:
Prise de son: Jean-Louis Bellurget pour le In Seine-Saint-Denis, au cœur des parcs départementaux de la Haute-Ile et Georges Valbon
La Banque du miel, une « banque du vivant »
Olivier Darné, est artiste et gardien d’abeilles, fondateur en 2003 du « Parti Poétique », collectif d’artistes activistes. Il est le créateur de la Banque du Miel de la République forestière, de Zone Sensible à Saint-Denis et du projet « Trésors Publics » à Arles.
"Le miel est le point exact de croisement et de concentration du monde animal et végétal. Incapable d’en produire lui même, devant le miel, l’homme en devient alors le spectateur et le prédateur ultime.

Avec le Parti Poétique et pour les humains qui n’ont pas encore conscience que les abeilles sont leur « assurance vie », en 2008 en synchronisation avec une crise financière mondiale, nous avons mis en œuvre les conditions d’un nouveau projet artistique, plus radical et politique, à la croisée des crises économiques et écologiques de nous vivons et dont les abeilles meurent.
… si nous imaginions un projet qui utiliserait le miel, l’argent, la mort et le temps comme les révélateurs de l’absurdité « moderne » du monde ?
Les abeilles seraient donc les nouveaux indicateurs de richesse des territoires. Elles indiqueraient en quantité de miel la richesse des écosystèmes et leur vitalité. Car si un paysage qui fait du miel est un paysage qui va bien, le miel ne serait alors plus la finalité du projet, mais bien le révélateur de son équilibre et de sa vitalité.
Comment lire l’illisible ?
Jusqu’où s’étend la mort chez les oiseaux, les abeilles, les sols et les rivières pour produire une seule unité de céréale dans le monde des hommes ?
© Olivier Darné
Si l’agriculture dite « conventionnelle » cherche aujourd’hui à lire le paysage et sa rentabilité à travers un tableau Excel, cette agriculture industrielle qui cherche à nourrir les villes « investit » les lieux et produit des courbes de rentabilités proportionnelles aux courbes de mortalité des abeilles.
- L’argent produirait donc de la mort.
Considérant que modestement un projet artistique pouvait éclairer cette relation au monde et qu’il convenait d’utiliser le monde des abeilles et le monde économique comme deux révélateurs de cette nouvelle absurdité, le projet à créer devenait une Banque, une banque d’un type nouveau.
Ainsi donc proposais-je comme « pari » de considérer qui si le monde contemporain considérait comme normal pour produire de l’argent, de produire de la mort, un projet artistique serait il en mesure de considérer l’inverse ? Peut-on produire de la vie avec de l’argent mort ?
La Banque du miel est créée en 2010, entre la France et la Suisse à Grenoble et Genève, avec elle un nouvel outil financier: le «Compte épargne, abeilles».
Littéralement : - un Compte pour épargner les abeilles.
L’aventure est considérable et va au delà de nos espérances…

La Banque du miel est un projet qui produit de l’énergie et du mouvement avec plus de 2500 sociétaires entre la France, la Suisse, la Hollande, la Norvège, c’est aujourd’hui plus de 120 ruches, près de 9 millions d’abeilles élevées à Saint-Denis, -devenue le plus grand rucher en milieu urbain d’Europe- un site de production de vie au Pays-Bas à La Haye au Centre d’art contemporain Stroom Den Haag... Puis à Saint-Denis où « la Banque de reines » a produit chaque année un « fonds de garantie », de reines et d’essaims pour les apiculteurs.
Finalement la Banque du miel cherche à produire ce que nous aimerions que produise la ville : de la richesse et du collectif plutôt que de l’argent et de la solitude.
En 2020, je reprends le projet La Banque du miel pour lui imaginer une suite logique et naturelle en pariant sur le temps long, le seul temps qui vaille quand on se relie au vivant. Cette nouvelle étape s’écrit entre deux territoires et deux Départements la Seine Saint-Denis et les Bouches du Rhône, depuis Saint-Denis et Arles, ce projet qui s’appelle TRÉSORS PUBLICS engage le Parti Poétique sur un processus artistique et écologique pour les 20 prochaines années… et c’est très enthousiasmant…
Depuis 1996 et mes premiers dialogues avec les abeilles, j’habite à présent la ville d’une façon nouvelle: en posant des abeilles et des installations sur les trottoirs des villes, comme on pose une question sur une feuille de papier…
Et très souvent, c’est étonnant, les abeilles ont la réponse…"

© Olivier Darné

> Mary-Lou Mauricio
Photographe
Des jardins partagés de Saint-Ouen à ceux de Stains.
Des toits de Permapolis à Saint-Denis, aux cultures en hydroponie de Sous les fraises à Aubervilliers.
> Arpenter plus loin:
L'histoire des cités jardins de la banlieue du nord-est parisien, ici.
Celle des jardins ouvriers et familiaux en Seine-Saint-Denis, là.
De la bergerie des Malassis à Bagnolet, en passant par René.e animée par Pépins Productions et les Alchimistes à Pantin. Des moutons de Clinamen à la Courneuve, aux vignes du parc départemental du Sausset.
Le vivant prend plusieurs visages in Seine-Saint-Denis.
La suite de ce reportage photos signé Marylou Mauricio est par ici.
 > Arpenter plus loin:
Écouter le podcast In Seine-Saint-Denis "En mouvement" avec les Bergers Urbains, là.
> Michaël Silly,
sociologue, fondateur de Ville hybride

"Il y a tout juste dix ans je découvre une oasis au pied de la cité des 4000 à La Courneuve. Il s’agit du Moulin Fayvon. Le contraste est saisissant entre ce lieu poétique et végétal, et l’âpreté minérale des « 4000 ». Âpreté à première vue, car à la rencontre des habitants du quartier, les « 4000 » regorgent de récits humains saisissants qui peuvent faire l’objet de multiples films et romans. L’idée n’est ni de les caricaturer ni de les embellir. Juste voir qui ils sont réellement. L’artiste qui s’est installé au Moulin Fayvon ne s’y est pas trompé. Il a fait entrer les parcours de vie des habitants dans le moulin. Et à force de les côtoyer, ils sont devenus le terreau de son imaginaire et de ses créations.
Un témoignage d’enfants de l’école primaire voisine m’avait particulièrement marqué. Lors du grignotage de leur tour, ils ont assisté avec effroi au vidage de leurs logements (jouxtant leur école). Les ouvriers jetaient depuis les balcons les meubles et débris des logements, dans la rue. « On aurait dit une scène de guerre » avait confié les enfants. Depuis quelques années, l’association FACE développe au moulin Fayvon, en lien avec de multiples acteurs dont l’école du paysage de Versailles, le potager de la reine, « cultures hors-sol et insolites, alliant techniques anciennes et plus récentes ».
- Pourquoi je vous raconte ceci ?
- Cultiver une ville est en résonance forte avec l’histoire locale et lointaine des habitants.

© Mary-Lou Mauricio

II n’y a pas plus culturelle que la culture du vivant, tous les vivants. Personne n’échappe à son histoire, qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs. Et en même temps, nul n’échappe à la transformation de son histoire, grande et petite, au contact des autres, pour inventer quelque chose d’unique. C’est ce qu’il se passe en Seine-Saint-Denis. Le vivant, tous les vivants (humain, végétal, animal) créent ici quelque chose que l’on ne retrouve pas ailleurs.
Un horticulteur ne dispose que d’une bande de terre de quelques dizaines de centimètres de large, sur plusieurs mètres de long à l’Ile Saint Denis. Qu’à cela ne tienne. Il va aller puiser dans son histoire rurale du Proche Orient une technique agricole vieille de plusieurs siècles. Pour la mettre en œuvre ici, en Seine-Saint-Denis. Ces fleurs en circuit-court sont aujourd’hui très recherchées,
> Arpenter plus loin:
Paysages en récit. Le tout premier atlas  à mettre en avant l’expertise paysagère, le regard que portent habitants et acteurs sur leur paysage. Ici.
Le Département de la Seine-Saint-Denis a lancé en novembre 2019 l'appel à projet international Devenir(s). Trois équipes lauréates - Ecole Kourtrajmé, équipe CNRS et équipe Catherine Tricot -  donnent trois visions, trois inspirations, trois projections complémentaires pour révéler tous les possibles du territoire et de ses habitant.e.s. Par ici.
Design graphique: @Antje_Welde / Voiture 14
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