Prenons le ciment en tant que matière ou bien, en son sens plus figuré de « liant les uns aux autres » et posons-nous deux questions : maintenant qu’il est là, est-il un terrain fertile ? Comment suscite-t-il de nouveaux communs ?
 > Dans vos oreilles :
Prise de son: Jean-Louis Bellurget pour le Seine-Saint-Denis
Oui, le ciment est fertile.
Depuis 2010, le Département de la Seine-Saint-Denis a fait des toitures du centre technique du parc départemental Georges Valbon un terrain d’expérimentation. Question posée : peut-on à partir du béton, de tuiles, que l’on trouve sur nombreux chantiers de notre territoire, faire pousser plantes, herbes, arbustes ?
© Sophie Loubaton
Quand le Département de la Seine-Saint-Denis s’interroge, nous sommes en 2012 et il est novateur. Imaginez : sur les chantiers, on regarde d’un œil bien plus lointain qu’aujourd’hui ces questions de biodiversité. 2022, dix ans plus tard, l’expérimentation fait ses preuves et les analyses sont loin d’être terminées.
Julia Badaroux , chargée de projet ingénierie écologique à la Direction de la nature, des paysages et de la biodiversité au sein du Département explique :  « on a délimité les toits terrasses en 3 espaces. Ici, la toiture vitrine... Tout au bout, la toiture des ateliers sur laquelle nous n’intervenons pas et là, la terrasse des bureaux sur laquelle nous expérimentons différents types de substrats. L’idée c’est de prendre les contraintes telles qu’elles sont et de s’y adapter. Là sur les toits, il nous fallait un substrat drainant, léger. »
Résultat, 4 substrats sont étudiés et suivis de près : deux courants – à base de tourbe et de pouzzolane - et deux plus singuliers d’un territoire urbanisé – à base de tuiles concassées et de béton.
« Les tuiles et le béton, ils ont des atouts ? Bien sûr, plus d’un ! »
« Le béton concassé, transformé en substrat est drainant, léger, il laisse passer les racines » détaille Julia. Avec la tuile, ils ont des caractéristiques similaires aux substrats plus classiques et utilisés d’ordinaire. Tous les deux ont même une longueur d’avance : pas besoin de les importer. Bien souvent c’est la tourbe qui est utilisée, puisée dans des tourbières de Pologne, car préservées en France.
« Et dans les faits, le substrat béton prouve son efficacité ?
Oui, sans aucun doute ».
Les analyses faites durant ces dix années prouvent que le substrat pouzzolane a été rattrapé en performance par les autres, alors qu’il est à ce jour la star des toits terrasses. Le substrat béton est plus constant et atteint en cinq ans un système équilibré qui permet une richesse de biodiversité. « En 2019, c’est dans notre carré d’expérimentation substrat béton que l’on avait le plus de végétaux plantés, installés et pérennisés, » ajoute Julia.
« Ce béton fertile, il a permis des changements dans les pratiques ?
Troisième oui ! Et on espère encore d’autres à venir »
Ces dix années d’expérimentations au parc départemental Georges Valbon ont permis au Département d’acquérir une expertise, un recul et parfois même une avance sur le sujet et sur d’autres collectivités. Preuve en est : ce sont les résultats de cette expérimentation qui ont permis de réutiliser les gravats des travaux de la RD400 à Aulnay-sous-Bois : le béton concassé a été mélangé à la terre puis au compost et n’a ainsi pas été excavé, mais est devenu un sol fertile. L’objectif dans les prochaines années c’est bien de changer d’échelle. « Réduire les apports de terres agricoles, se servir des atouts de ce que l’on a pour transformer directement sur place les caractéristiques physiques du sol », résume Julia.  Pas de doute, le ciment est bien fertile.​​​​​​​





« Les tuiles et le béton, ils ont des atouts ? Bien sûr, plus d’un ! »

« Et dans les faits, le substrat béton prouve son efficacité ?
Oui, sans aucun doute ».

« Ce béton fertile, il a permis des changements dans les pratiques ?
Troisième oui ! Et on espère encore d’autres à venir »

©Sophie Loubaton
©Sophie Loubaton
©Sophie Loubaton
©Sophie Loubaton
©Sophie Loubaton
©Sophie Loubaton
  

> Arpenter plus loin : à Nantes, au square de l’île Mabon. C’est un projet d’aménagement d’un jardin spontané. La végétation a naturellement repris ses droits sur cette friche depuis aménagée en square. Par ici.

Rustam, semeur d’espoir(s) et d’œillets
A l’Ile-Saint-Denis, cet ex-ingénieur reconverti agriculteur, a su faire profiter Lil’Ô, le projet d’écologie populaire de l’association Halage, de son bon sens paysan cultivé en Arménie pour régénérer des sols abîmés. Retour sur l’éclosion d’une belle histoire made In Seine-Saint-Denis.
> Arpenter + loin : Découvrez dans le cadre du « 1% artistique » appliqué par le Département de la Seine-Saint-Denis, le travail de Simon Boudvin, artiste photographe, qui présente aux Éditions B42 « AILANTHUS ALTISSIMA une monographie située de l’ailante ». L’artiste a suivi le développement d’une population d’ailantes pendant dix ans entre les communes de Bagnolet et Montreuil. Par ici.
  

> Equipe CNRS
Consultation Seine-Saint-Denis 2030
Nos trottoirs, nouveaux communs
L’appel à projets international « Seine-Saint-Denis 2030 » lancé par le Département fin 2019 a permis d’engager un processus de réflexion autour d’un futur désirable pour le territoire. L’équipe lauréate portée par le lab UMR « Architecture Urbanisme Société » du CNRS nous propose de repenser nos trottoirs et routes départementales comme des supports de solidarité et de reconquête.
La parole à :

> Stéphane Troussel
Président du Département de la Seine-Saint-Denis
350 km de routes départementales sillonnent le territoire de la Seine-Saint-Denis, formant un important maillage viaire dont les rives sont autant d’espaces d’interactions, d’habitation, de travail et de consommation. Le Département de Seine-Saint-Denis a initié la reconfiguration de ces voies au caractère trop souvent routier pour apaiser la circulation et réduire ainsi les nuisances sonores et la pollution. 
La transformation des routes départementales peut toutefois être envisagée dans un cadre plus large que celui d’un aménagement de voirie. Friches, parkings, bâtiments obsolètes, aires asphaltées issues de la réduction de l’emprise de la voirie départementale… sont autant de potentiels de reconquête des voies par leurs riverains, à travers tout le territoire de la Seine-Saint-Denis.
Dans le cadre de l’appel à projets « Seine-Saint-Denis 2030 », l’équipe constituée par le CNRS nous propose ainsi de porter un autre regard sur les routes départementales et leurs rives, pour les considérer comme des supports de développement des solidarités locales et de transformation socio-écologique du territoire en interrogeant les nouveaux modes d’habiter, de se déplacer, de travailler, de consommer et de vivre en Seine-Saint-Denis. Première étape : identifier les usages existants et les terrains en devenir le long des routes départementales pour y développer de nouvelles fonctions urbaines.
L’objectif serait de tirer parti du réseau dense de voies départementales pour créer un véritable maillage d’espaces publics et de lieux riverains susceptibles notamment  d’accueillir des équipements pour connecter les acteurs du territoire (citoyens, associations, entreprises, institutions), pour générer des dynamiques locales, activant des flux matériels (eau, énergie, déchets, nourriture) et des flux immatériels (connaissances, économie sociale, culture locale, auto-construction, etc), et faire ainsi émerger une image renouvelée de la Seine-Saint-Denis à partir de ces espaces reconquis dans une perspective écologique. Parmi les propositions présentées par les différents membres de l’équipe, on trouve des programmes innovants, temporaires ou permanents, en relation avec des espaces reconfigurés, comme des Labs de différentes fonctions (Civic-labs, Common-labs, Eco-labs, Life-labs), de nouveaux Communs et services (kiosques solidaires, halles), qui permettraient à la population de devenir actrice de la résilience de son territoire et du développement de circuits courts.
« Avec la consultation Seine-Saint-Denis 2030, nous avons souhaité appréhender les grandes mutations du territoire dans un ensemble, et non plus comme une superposition de projets urbains aux porteurs divers. Ce fut aussi une façon pour le Département de finir de conceptualiser nos ambitions en matière de transformation de l’espace public : depuis nos routes départementales et leurs rives, nous avons la capacité de recréer du lien, de refaire de la ville.
L’espace public n’a pas été conçu en Seine-Saint-Denis comme un lieu où l’on s’arrête mais avant tout comme un lieu de passage.
Il est temps d’en faire ce qu’il devrait être par essence, un commun.

Pour cela nous rééquilibrons petit à petit le partage de nos routes entre les différents modes de déplacement, pour que chacun y trouve sa place. Mais au-delà des mobilités, la reconquête de cet espace commun doit se faire autour des usages de ses habitant.e.s.
C’est là tout l’apport de la contribution de l’équipe du CNRS et de son concept de riveraineté : en documentant de façon précise le potentiel de nos routes, au-delà de l’aspect purement viaire,
elle nous rappelle le rôle premier que doivent jouer nos routes, créer du lien et rendre la ville accessible.

Trop souvent coupures urbaines, les voiries départementales deviendront des liaisons entre les quartiers et les communes, des moyens d’accès pour toutes et tous aux services publics, lieux de loisirs, de culture d’éducation. »

  
> Quatorze 
Association architecture et urbanisme
> Bellastock
Société Coopérative d'Intérêt Collectif d'architecture
Le ciment, un héritage matériel et culturel de la Seine-Saint-Denis

 ©Bellastock
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 ©Quatorze
©Quatorze
Commençons par le détour historique sensible. Bien que son principe de fabrication existe depuis longtemps, le ciment incarne une manière de construire — extractiviste, polluante et tout sauf résiliente. Il est, tout particulièrement en France, le matériau qui incarne l’architecture du XXème siècle (celle du mouvement moderne) ainsi que les formes urbaines — dalles, grands ensembles, certaines grandes architectures industrielles — et infrastructures qui composent aussi les villes produites pendant plusieurs décennies, que les nombreux grands ensembles et “villes nouvelles" qui trament la Seine Saint Denis.
Mais cet héritage bâti incarnait aussi une recherche architecturale à ne pas hypothéquer : Il a permis d’ouvrir de large bais, de faire exister le toit terrasse comme espaces praticables, le plan libre...
Sur le plan architectural, il s’agit donc d’explorer d’autres manières de construire “post-ciment” telle que le définit Cigue. Certains tentent la réactualisation de techniques traditionnelles à l’instar de la fabrique, d’autres explorent des pistes autour du réemploi et de la revalorisation notamment des déchets issus des démolitions. Recherche technique et esthétique dans le champ du design (Cigue encore une fois) ou tentative d’inscrire les logiques de réemploi et de circularité à l’échelle des chantiers et aux rythmes des transformations.
Sur le plan architectural, il s’agit donc d’explorer d’autres manières de construire “post-ciment”
Design graphique: @Antje_Welde / Voiture 14
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