Rustam, semeur d’espoir(s) et d’œillets

A l’Ile-Saint-Denis, cet ex-ingénieur reconverti agriculteur, a su faire profiter Lil’Ô, le projet d’écologie populaire de l’association Halage, de son bon sens paysan cultivé en Arménie pour régénérer des sols abîmés. Retour sur l’éclosion d’une belle histoire made In Seine-Saint-Denis.
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En nous ouvrant les portes de « son » jardin, une parcelle d’environ 400 m2 blottie au pied de l’église Saint-Pierre à l’Ile-Saint-Denis, Rustam Tsarukyan est presque désolé de ne pas mettre davantage de couleurs dans cette matinée de février nimbée d’un ciel bleu éclatant. « Il faudra revenir au printemps quand les œillets auront fleuri ! », prévient le jardinier des lieux, employé par l’association Halage, structure d’Insertion par l’Activité Économique. En 2016, ce solide « bonhomme » de 65 ans, originaire d’Arménie, a intégré Halage et commencé à mettre de la couleur au milieu du béton gris. Le long du mur de clôture du jardin mis à disposition par la paroisse, il troue d’abord une bordure bétonnée pour redonner vie à un sillon de terre où pousseront bientôt des tomates qui feront les délices du quartier. Le terrain patiemment dépierré, écloront ensuite des roses et des œillets cultivés sous serre. « Je suis ingénieur de formation mais lorsque l’Arménie a accédé à l’indépendance en 1991, les usines ont fermé. J’ai dû retourner travailler la terre dans la campagne où j’avais grandi », éclaire l’homme aux mains vertes. Rustam Tsarukyan a quitté l’Arménie en 2011, lassé par la corruption ambiante et parce que sa femme « voulait rencontrer Aznavour » le plus célèbre des Arméniens.
Ramenée dans ses bagages, sa solide science de la terre va constituer le terreau fertile de Lil’Ô, projet d’écologie populaire mené depuis 2018 par Halage en bordure du Parc départemental de l’Ile-Saint-Denis. Sur un terrain industriel de 3,6 hectares, il s’agit alors de régénérer des sols dévorés par le béton et la pollution. Avec Rustam comme guide : « Lorsqu’on a commencé à prendre possession des lieux, ses conseils techniques, son expérience horticole ont clairement compté », se souvient Nicolas Fescourt, chargé de projet au sein d’Halage.

Un succès économique et écologique
Le sage Arménien qui a su faire pousser des fleurs et des légumes au milieu du béton, ausculte la terre, les cieux, le vent afin d’orienter l’implantation des premières bandes de culture de Lil’Ô, devenu l’un des trois sites franciliens de production de « Fleurs d’Halage », une filière de la fleur française développant un modèle de production et de distribution solidaire. Joliment sous-titré « de la graine à l’emploi », le projet fonctionne aujourd’hui en circuit court, approvisionne une cinquantaine de fleuristes, livre l’Hôtel Ritz et surtout emploie une quinzaine de salariés. « La demande est croissante, les fleuristes nous disent qu’ils retrouvent avec nos œillets, les odeurs de leur enfance. Celles qu’ils ne trouvaient plus dans des fleurs cultivées majoritairement au Kenya, alors qu’on peut le faire chez nous », commente Nicolas Fescourt désormais en charge de Fleurs d’Halage.
Un succès qui n’empêche pas Rustam de rester modeste : « Revenez vraiment au printemps, insiste-t-il. Vous verrez la différence et surtout je dois retourner m’occuper de mes œillets... »
Frédéric Haxo
…mettre de la couleur au milieu du béton gris




…il troue d’abord une bordure bétonnée pour redonner vie à un sillon de terre où pousseront bientôt des tomates qui feront les délices du quartier.
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